Rue Antoine-Bourdelle
Achille Bouïs, Antoine Bourdelle modelant une figurine, vers 1883, aristotype, Paris, musée Bourdelle
Portrait d’Antoine Bourdelle, 1887, photographie, Paris, musée Bourdelle
Natif de Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, le sculpteur Antoine Bourdelle vit le jour en 1861 et s’appelait, à sa naissance, Emile-Antoine Bordelles. Il abandonna plus tard son patronyme, « par modestie », comme l’avait fait son père, qui signait « Bourdelle, bien que [son] nom veuille dire plusieurs petites fermes ou borderies ».
Antoine Bourdelle
La Première victoire d’Hannibal, 1885, bronze (épreuve n°1, fondue en bronze en 1994 par la fonderie Coubertin), hauteur : 204 cm (détail), Paris, jardin intérieur du musée Bourdelle
Antoine Bourdelle travailla, dès 1874, dans l’atelier de menuiserie paternel. Particulièrement doué, il se fit remarquer par le banquier Hippolyte Lacaze, qui lui octroya, en 1874, une bourse pour étudier à l’Académie des Beaux-Arts de Toulouse. En 1884, Bourdelle obtint la deuxième place au concours de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris, puis entra dans l’atelier d’Alexandre Falguirère (1831-1900), où il étudia pendant deux ans. Remportant un succès critique au Salon des artistes français en 1885, avec La Première victoire d’Hannibal, il décida toutefois de rompre avec l’enseignement académique de ses pairs.
Photographe anonyme, Impasse du Maine 1906 Paris, 1906, aristotype, 11,9 x 8,9 cm, Paris, musée Bourdelle
Vue actuelle de l’atelier d’Antoine Bourdelle
C’est en 1885 qu’il loua un modeste atelier au 16, impasse du Maine, qui était alors une voie privée. Partant de l’avenue du Maine, elle se terminait en cul-de-sac avant d’être prolongée jusqu’à la rue Falguière en 1913. On lui donna, par arrêté, le nom du sculpteur en 1933.
Le quartier du Montparnasse était déjà le refuge de plusieurs artistes. L’atelier d’Aimé-Jules Dalou, qui s’était installé en 1880, et celui d’Eugène Carrière, venu la même année que Bourdelle, se situaient également dans l’impasse du Maine. Bourdelle gagna d’abord sa vie en vendant ses dessins mais, en 1893, Auguste Rodin l’engagea comme praticien. Cette collaboration fructueuse déboucha notamment sur la fondation d’une école à Montparnasse pour l’enseignement libre de la sculpture.
A la recherche d’un style propre, Bourdelle s’émancipa progressivement de la manière de Rodin, dont il quitta l’atelier en 1908. Il enseigna, dès l’année suivante, à l’Académie de la Grande Chaumière, où Alberto Giacometti, Germaine Richier et Maria-Elena Veira da Silva furent ses élèves.
Antoine Bourdelle
Monument du Général Alvéar, version réduite en bronze de la statue équestre réalisée entre 1913 et 1923, érigée en 1926 à Buenos-Aires (Argentine), Paris, jardin intérieur du musée Bourdelle
Sollicité pour de grandes commandes par le riche financier Gabriel Thomas (1854-1932), Bourdelle travailla, en 1900, à la décoration du musée Grévin, puis s’attela, à partir de 1910, au chantier du théâtre des Champs-Elysées. Il présenta, cette année-là, l’un de ses chefs-d’œuvre Héraklès archer au Salon de la Société nationale des Beaux-arts. Dans la dernière partie de sa vie, Bourdelle reçut de grandes commandes officielles pour lesquelles il réalisa des monuments commémoratifs aux dimensions impressionnantes.
Inauguration du musée Bourdelle en 1949
Dans les dernières années de sa vie, Bourdelle se soucia du devenir de ses œuvres, conservées dans les ateliers de l’Impasse du Maine. Sur l’exemple de Rodin, dont les donations avaient été à l’origine de la création d’un musée à son nom en 1916, Bourdelle se rapprocha de la direction des Beaux-arts de la Ville de Paris pour lui proposer le legs de ses œuvres et la création d’un « atelier-musée », voué également à l’éducation des jeunes artistes, qu’il construirait lui-même sur un terrain cédé par la Ville.
Ne parvenant pas à aboutir les discussions, il sollicita ensuite le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Il finalisa, peu avant sa mort, des discussions avec les frères Perret pour la construction d’un bâtiment en béton habillé de briques rouges. Pendant vingt ans, la seconde épouse et les enfants du sculpteur s’efforcèrent de mener à bien le projet : elle fit l’acquisition du terrain, dès 1930, et des ateliers, à l’état de ruine, qu’elle proposa de laisser à la Ville de Paris, ainsi qu’un ensemble d’œuvres. Cléopâtre Bourdelle informa la presse, suscitant de nombreux soutiens, organisa plusieurs expositions monographiques, dont l’une, en 1933, se tint au musée du Petit Palais.
La Seconde guerre mondiale interrompit les discussions, mais épargna les ateliers et les œuvres s’y trouvant entreposées. Cléopâtre Bourdelle soumit une nouvelle proposition dès la fin de l’automne 1945 : elle prévoyait la donation des lieux et de plusieurs œuvres, la préservation des ateliers et la construction d’un grand hall destiné aux œuvres monumentales.
Le conseil municipal accepta ces donations en 1947, lançant la restauration des ateliers et préparant l’ouverture du musée, au mois de juillet 1949. Les œuvres données à la Ville de Paris rassemblaient essentiellement des plâtres, quelques terres cuites, mais aussi des moules, des bronzes et un marbre inachevé : uniquement des œuvres produites dans les ateliers de l’impasse du Maine et portant la marque de l’atelier.
La galerie à arcades
L’aménagement du nouveau musée fut confié à Henri Gautruche (1885-1964), architecte de la Ville de Paris, en 1946. Fidèlement aux conditions posées par la donatrice, l’architecte proposa de préserver la maison familiale, les ateliers, le petit jardin intérieur, dont les arbres ont été plantés par le sculpteur. Il projeta également de bâtir un Grand Hall pour les œuvres monumentales et des espaces consacrés aux expositions temporaires et aux conférences, à la documentation et à la conservation des œuvres, et des réserves.
La nouvelle galerie faite d’arcades ouvertes, en briques rouges, fut inaugurée en 1951. Dans les années qui suivirent, il dirigea l’aménagement de la boutique et la conversion des ateliers en salles d’exposition temporaire. En 1954, il créa la galerie de sculpture à l’étage de la galerie à arcades et acheva, en 1961, la construction du Grand Hall.
Le Grand Hall
Inauguré à l’occasion du centième anniversaire du sculpteur, le Grand Hall est la première salle du parcours de visite. C’est un vaste hangar terminé en hémicycle, dont les murs beiges et la lumière claire et diffuse conviennent parfaitement aux plâtres monumentaux. Le Grand Hall est percé de grandes baies, ouvertes sur le jardin intérieur, et coiffé de panneaux vitrés, qui mettent subtilement en valeur les œuvres disposées de part et d’autre de la nef de l’édifice.
Antoine Bourdelle
L’Épopée polonaise (Élément du Monument à Adam Mickiewicz, 1908-1929), plâtre, Paris, musée Bourdelle
Commandé en 1908 à Bourdelle par un comité franco-polonais, le Monument à Adam Mickiewicz (1798-1855) rend hommage au grand poète romantique polonais, fervent patriote condamné à l’exil en 1823, après l’annexion de la Pologne par la Russie, la Prusse et l’Autriche.
Dans son ensemble, le monument se compose d’une colonne, sur laquelle se détache la figure de L’Épopée polonaise, avec à son sommet la statue la statue d’Adam Mickiewicz. La base de la colonne est ornée de reliefs inspirés par l’œuvre de Mickiewicz et d’un relief représentant l’allégorie des Trois Polognes, en allusion à la tripartition russe, autrichienne et prussienne du pays. Les spécialistes ont observé, à juste titre, que la figure de L’Épopée dégageait un souffle épique rappelant Le Départ des Volontaires de François Rude.
Antoine Bourdelle
Portrait en pied d’Adam Mickiewicz (Élément du Monument à Adam Mickiewicz, 1908-1929), bronze, Paris, cours Albert-Ier, extrémité ouest du jardin d’Erevan (XVIe arrondissement)
Le Monument à Adam Mickiewicz fut élevé à Paris, place de l’Alma, en 1929, quelques mois avant la mort de son créateur. Il fut déplacé plus tard Cours Albert-Ier, désormais jardin d’Erevan, à l’extrémité ouest du terre-plein latéral le long de la Seine.
Héraclès archer ou Héraclès tue les oiseaux du lac Stymphale (détail), plâtre original de la seconde version de 1923, Paris, musée Antoine Bourdelle
Héraclès archer est la sculpture la plus renommée de Bourdelle. Réalisé en grand et en bronze doré pour Gabriel Thomas et présenté au Salon nationale des Beaux-Arts en 1910, où elle fit sensation, Héraclès révèle, parmi d’autres figures, l’intérêt du sculpteur pour la Grèce antique.
Le héros légendaire est représenté sur le point d’accomplir l’un de ses douze travaux : l’extermination des oiseaux monstrueux du lac Stymphale. La position de son corps est particulière : la jambe droite d’Héraclès est repliée et posée sur le sol, alors que sa jambe gauche prend appui en hauteur, contre un rocher. Les bras forment une diagonale : le bras droit est replié en arrière, l’autre est tendu en avant. De la main droite, Héraclès retient la corde de l’arc, alors que sa main gauche maintient fermement le bois.
Bourdelle fit poser son ami André Doyen-Parigot (1864-1916), dont le corps athlétique servit de modèle à la musculature d’Héraclès. A la demande de Doyen-Parigot, qui ne voulait pas être reconnu, le sculpteur simplifia les traits du visage en s’inspirant des œuvres grecques archaïques pour lesquelles il avait une grande admiration.
Antoine Bourdelle
Héraclès archer ou Héraclès tue les oiseaux du lac Stymphale, tirage en bronze de la seconde version de 1923, Prague, Narodni Galerie
Le sculpteur réalisa plusieurs études pour aboutir à une petite sculpture, qu’il considéra comme achevée. Il réalisa ensuite la figure dans sa dimension monumentale pendant l’été 1909. Un premier exemplaire en bronze fut alors tiré à la fonderie Rudier.
Dans un premier temps, Bourdelle ne put en vendre de nouveaux exemplaires, ayant concédé l’exclusivité de la sculpture à Gabriel Thomas. Celui-ci lui abandonna toutefois ce privilège, afin de ne pas lui porter préjudice. Il rendit également au sculpteur le bronze de 1909 et en obtint un nouveau tirage.
Bourdelle réalisa une seconde version d’Héraclès, mise au point en 1923, qui se distingue de la première version par des rajouts de reliefs sur le rocher. Les deux versions d’Héraclès furent tirées chacune à dix exemplaires. C’est ainsi un exemplaire de la seconde version que détient la Galerie nationale de Prague.
Antoine Bourdelle
La Force (figure allégorique ornant le piédestal du Monument au Général Alvéar, 1913-1923), modèle en plâtre de la figure exposée au Salon des Tuileries en 1923, Paris, musée Bourdelle
Dans le Grand Hall, les allégories du Monument au Général Alvéar ont été placées autour du modèle en grandeur d’exécution de la statue équestre, posée sur un haut socle. Ces quatre figures, elles-mêmes à l’échelle, représentent La Force, L’Éloquence, La Victoire et La Liberté.
Antoine Bourdelle
La Victoire (figure allégorique ornant le piédestal du Monument au Général Alvéar, 1913-1923), bronze, Paris, jardin sur rue du musée Bourdelle
Les épreuves en bronze de ces quatre figures allégoriques sont placées dans le jardin sur rue du musée Bourdelle. Deux autres épreuves de La Victoire et de La Force sont présentées sur la terrasse méridionale du musée d’Orsay, en bordure de la rue de Lille.
Antoine Bourdelle
La France, vers 1922-25, modèle en plâtre Paris, musée Bourdelle
Se laissant convaincre par le sculpteur Albert Bartholomé (1848-1928) du caractère patriotique de la commande, Bourdelle accepta de réaliser la figure de la France scrutant l’horizon, que l’homme politique Maurice Damour (1873-1953) et l’architecte André Ventre (1874-1951) avaient imaginée pour rendre hommage aux soldats américains venus porter secours aux combattants français en 1917.
Représentée en Pallas Athénée, casquée et drapée d’une longue tunique, La France de Bourdelle scrute l’horizon, faisant de sa main une visière. Elle est armée d’un bouclier et d’une lance garnie d’un rameau d’olivier, et accompagnée des serpents de la Sagesse.
Antoine Bourdelle
La France, tirage en bronze érigé en 1948, Paris, parvis du palais de Tokyo (XVIe arrondissement)
Plusieurs épreuves en bronze ont été réalisées : un exemplaire se dresse à Montauban, cours Foucault, et un autre fut réalisé pour le pavillon du livre de l’exposition des arts décoratifs de 1925. Entreposé et oublié, cet autre exemplaire a été retrouvé et se dresse désormais à Briançon, sur la terrasse du fort du château, tourné vers la vallée de la Durance. Le plus grand exemplaire, installé à Alger, fut plastiqué par l’OAS au mois de novembre 1961.
Une quatrième épreuve a été installée sur le parvis du palais de Tokyo, à Paris, le 18 juin 1948, à la mémoire des combattants de la France Libre.
Antoine Bourdelle, La Musique (relief destiné à la façade du Théâtre des Champs-Elysées), 1912, plâtre, 177 x 155 cm, Paris, musée Bourdelle
La façade du théâtre des Champs-Elysées, mai 2020
Le Grand Hall présente les grands reliefs en plâtre destinés au décor de la façade « Art Déco » du théâtre des Champs-Elysées, avenue Montaigne, à Paris. La salle de spectacle, dotée d’une structure en béton par son architecte, Auguste Perret (1874-1954), mais habillée de plaques de travertin, reçut une frise pour sa façade principale et cinq reliefs, dont celui de La Musique, mettant en scène un violoniste et un faune jouant du syrinx.
Les sculptures du jardin sur rue
Avant de découvrir l’atelier du sculpteur, le parcours de visite nous invite à jeter un œil sur le jardin jouxtant la rue Antoine-Bourdelle. Il forme en effet l’écrin végétal de plusieurs sculptures emblématiques : on peut y admirer notamment le cheval du Monument à Alvéar et Le Grand Guerrier, commandé en 1895 par la Société des Anciens Combattants de Montauban pour le Monument aux Combattants et Défenseurs du Tarn-et-Garonne de 1870-1871.
L’atelier
L’ancienne salle de travail du sculpteur et de ses élèves restitue fidèlement l’ambiance des ateliers d’artistes autour de 1900. Une grande verrière recevant la lumière du nord éclaire la pièce, dont le sol est parqueté. L’atelier possède une mezzanine, qui permettait l’observation des œuvres sous un angle de vue différent, ainsi qu’un vieux poêle, des selles, plusieurs sculptures semblant toujours à l’étude (marbres, plâtres et bronzes). Une petite pièce attenante, à vocation pédagogique, aborde très utilement les étapes de la création et les techniques de la fonte.
Les jardins intérieurs
Il est tentant de s’aventurer dans les jardins intérieurs, où ont été placées plusieurs sculptures en bronze de Bourdelle, que l’on découvre au fil de la promenade. On peut y admirer Sapho (1887-1925), La Vierge à l’offrande (1919-1922), Le Centaure mourant (1911-1914) et Jeanne d’Arc (1909).
Le Jour et la Nuit ou Adolescence, vers 1900-1903, marbre, Paris, musée Bourdelle
Le travail du sculpteur se développait dans plusieurs ateliers bordant le premier jardin intérieur. Ils renferment désormais un parcours chronologique de l’œuvre, séquencé en six moments distincts : les débuts de Bourdelle, la figure de Beethoven, les œuvres symboliques, les années 1900, les œuvres majeures, la fortune critique et la transmission esthétique de l’artiste.
La troisième section présente Le Jour et la Nuit : le buste d’un jeune homme rêveur, la tête basculée en arrière et les yeux tournés vers le ciel, associé à une « figure indistincte », qui lui pose la main sur l’épaule et semble lui prédire la vieillesse et la déchéance. Le marquis Henri de Bideran prêta les traits de son visage « beau comme le jour » pour personnifier l’adolescent de Bourdelle.
L’extension du musée, édifiée par Christian de Portzamparc entre 1989 et 1992, est consacrée aux figures de trois monuments, dont celui érigé à la mémoire d’Adam Mickiewic.
Antoine Bourdelle
Portrait de Coquelin l’Aîné, 1893, bronze, Paris, musée Bourdelle
La terrasse de la galerie à arcades offre un point de vue plongeant sur le jardin situé du côté de la rue. Elle réunit également plusieurs bustes, dont le saisissant portrait du comédien Benoît Constant Coquelin (1841-1909), dit Coquelin l’Aîné, sculpté en 1893 pour la Comédie-Française.
Les trois reliefs de la frise décorant la façade du théâtre des Champs-Elysées et l’épreuve en bronze du premier relief, présentée sur la terrasse de la galerie à arcades
Les épreuves en bronze des reliefs monumentaux du théâtre des Champs-Elysées sont présentées sur la partie découverte de la terrasse.
Deux reliefs de La Médiation d’Apollon, présentés sur la terrasse de la galerie à arcades
Pour la frise du théâtre des Champs-Elysées, Bourdelle représenta Apollon en médiation, assis et tenant la lyre, et les muses qui, de part et d’autre, accourent vers lui.
L’appartement de Bourdelle
La visite du musée peut s’achever par l’appartement où habita le sculpteur, avant de prendre un logement plus confortable situé 6, avenue du Maine. Des sculptures, des photographies et des tableautins à caractère intime y évoquent les proches et la famille de l’artiste.